Jane Dieulafoy

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Jane Dieulafoy

Née dans une famille de commerçants aisés de Toulouse le 29 juin 1851, Jeanne Paule Henriette Rachel Magre, dite Jane, est formée au couvent de l’Assomption d'Auteuil (Paris), où elle reçoit un enseignement classique et montre des dispositions pour le dessin et la peinture. Elle est la cadette de cinq filles ; le seul membre masculin de la fratrie, l’aîné, a disparu en Espagne. Jane a grandi en quelque sorte comme ce fils qui manque à ses parents. En 1869, elle quitte le couvent et fait la connaissance de Marcel Dieulafoy, archéologue. Ils se marient le 11 mai 1870.

Jane Dieulafoy montre son caractère indomptable et peu soucieux des conventions ; elle n'hésite pas à revêtir l'uniforme de franc-tireur pour accompagner son mari qui participe à la guerre de 1870 en qualité de capitaine du génie.

C’est la première fois qu’elle porte des vêtements masculins, ce qui est non seulement désapprouvé socialement, mais également illégal sans autorisation publique. Jane demande cette permission, qui lui est accordée. Elle aime l’aventure et les voyages, et tire parti de cette autorisation : non seulement les vêtements pour hommes sont plus commodes que ceux des femmes, mais ils lui permettent en outre de passer inaperçue dans les pays islamiques, dont l’art et la culture passionnent Marcel et Jane.

Entre 1873 et 1878, le couple visite l’Égypte et le Maroc, mais les intérêts de Marcel ne sont pas ceux d’un orientaliste ordinaire. Il est en charge des monuments historiques de Toulouse et a pour supérieur l’architecte Eugène Viollet-le-Duc ; ce passionné d’art médiéval, qui a restauré Carcassonne, l’encourage à enquêter sur les relations entre l’art antique du Proche-Orient et l’art islamique médiéval. C’est cet intérêt qui conduit le couple à Suse, un site qu’avait exploré le Britannique William Kennett Loftus entre 1850 et 1852. D’un commun accord avec Jane, Marcel décide de quitter son poste d’ingénieur et de se lancer dans une carrière archéologique.

Entre 1881 et 1882, Marcel part pour la Perse, sans lettre de mission et à ses frais personnels, à la recherche des origines de l'architecture occidentale. Jane et Marcel Dieulafoy s'embarquent alors à Marseille jusqu'à Constantinople. Puis, ils traversent la mer Noire sur un bateau russe jusqu'à Poti. Ils font ensuite à cheval tout le chemin. Ils parcourent à partir de Tbilissi pendant quatorze mois les routes de la Perse, répertorient, photographient tous les monuments, les mosquées, les ponts, etc. Une fois sur place, ils décident que le plus pratique est de voyager à cheval, ce qu’ils font sans escorte, et arrivent à Suse en janvier 1882. Déguisée en homme, Jane a pu traverser des régions où la présence d’une cavalière ne portant pas le voile aurait provoqué un scandale inévitable. Mais elle trompe tout le monde, des voleurs au souverain persan lui-même, le chah Naser al-Din, qui refuse de la croire quand elle lui révèle qu’elle est une femme.

Le premier séjour dans ce pays met en valeur les nombreuses facettes de la personnalité de Jane, à commencer par son intrépidité. Elle doit affronter les scorpions, les tarentules, les moustiques, les poux et la fièvre. Une fois, elle parcourt seule une centaine de kilomètres jusqu’à Téhéran, à cheval et de nuit, à la recherche d’un médecin pour soigner Marcel. Jane développe également son aptitude pour la photographie, un art dont elle est une pionnière, prenant des photos des villes et de leurs habitants, en particulier des femmes persanes. Jane photographie les monuments qu’elle trouve sur son passage, des images qui illustreront les cinq volumes de « L’Art antique de la Perse », que Marcel publie entre 1884 et 1885

Parlant persan, non seulement elle tient un journal rendant compte de leurs découvertes archéologiques, mais également sur le milieu et la société persane. Ces observations, qui remportent un grand succès, sont publiées en feuilleton au départ dans « Le Tour du monde », une revue française de voyages de 1883 à 1886. Une monographie en sera publiée sous le titre « La Perse, la Chaldée, la Susiane » en 1887 chez Hachette.

Dans son livre « Une amazone en Orient », Jane Dieulafoy rapporte les rencontres officielles que le couple fait avec les différents représentants de l'autorité et, grâce à son habitude de s’habiller en homme, Jane Dieulafoy parvient également à intégrer les caravansérails pour décrire ce qu’elle y voit. Elle mêle description, anecdotes et rappels historiques.

De retour à Paris, les investigations de Marcel valent au couple le soutien de Louis de Ronchaud, directeur des Musées nationaux. En 1884, le couple repart pour la Perse, afin de fouiller la cité de Suse, cette fois-ci à la tête d’une mission officielle sous le patronage du musée du Louvre et du ministère de l’Instruction publique. Deux nouveaux compagnons rejoignent leur expédition : Charles Babin, ingénieur des Ponts et Chaussées responsable de la comptabilité, et Fréderic Houssay, naturaliste, à qui revient la tâche de gérer le transport des découvertes emballées dans 215 caisses à destination du Louvre.

Pour sa part, le chah a autorisé les fouilles en échange d’une partie de ce qui sera découvert, notamment des pièces d’or et d’argent. Les membres de l’expédition s’installent sur les ruines des anciens palais de Suse et embauchent jusqu’à 300 ouvriers. Les fouilles commencent en février 1885 et s’achèvent en 1886, avec une interruption de quelques mois en raison de tensions avec la population locale, qui croyait que des chrétiens fouillaient la tombe du prophète Daniel.
Jane surveille les travaux et enregistre les objets découverts, qui datent de l’époque de Darius Ier (522-486 av. J.-C.), souverain sous lequel l’Empire perse s’étendit de l’Indus à la Grèce. La première grande trouvaille est une frise en briques vernissées représentant des lions féroces et qui décorait le palais de Darius. Après la découverte, Jane est chargée de la direction des fouilles dans cette zone. Quelques jours plus tard apparaissent des fragments de colonnes qui devaient atteindre 21 m de hauteur, surmontées d’imposants chapiteaux en forme de tête de taureau, également brisés. Un autre jour, les ouvriers cessent soudain de fouiller et commencent à agiter nerveusement les bras. Ils viennent de découvrir la célèbre frise des Archers. Une fois les travaux terminés, une trentaine de mulets et plus de 40 chameaux transportent les 45 tonnes de pièces jusqu’au bateau de croisière « Le Sané », qui les emporte en France.

Une fois à Paris, Jane dirige la restauration et la mise en place des frises au Louvre. Sa célébrité et celle de son époux grandissent avec l’inauguration de la salle perse du musée (la galerie Dieulafoy), le 20 octobre 1886, par le président de la République Sadi Carnot, qui décore Jane de la Légion d’honneur pour sa contribution aux fouilles de Suse. Après son retour de Perse, Jane ne portera plus jamais de vêtements féminins. Ni elle ni Marcel ne retourneront à Suse : ils portent désormais leur attention sur l’Espagne, qu’ils considèrent comme « cet autre Orient » et qu’ils visitent 23 fois entre 1888 et 1914. Jane écrit par la suite une biographie d’Isabelle la Catholique.

Les Dieulafoy, en dépit de leurs succès et de leur renommée, n’ont pas réussi à obtenir de nouvelles missions. On a choisi pour les remplacer Jacques de Morgan, un archéologue tempétueux, qui reproche aux Dieulafoy de faire du spectacle plus que des fouilles scientifiques. Pourtant, se sera lui qui endommagera le site, en utilisant des pierres extraites des vestiges de Suse, pour ériger un château, censé accueillir le résultat des fouilles et les équipes d’archéologues. En 1888, elle publie son journal « À Suse, journal des fouilles, 1884-1886 » rendant compte de leurs découvertes.

Puis, en 1914, Marcel Dieulafoy est mobilisé en tant que colonel du génie et envoyé à Rabat (Maroc), où Jane l’accompagne. Jane dirige alors les travaux de déblaiement de la mosquée Hassan, et projette d’aller explorer la ville romaine de Volubilis. Sa santé déclinant des suites d’une maladie contractée au service de l’ambulance à Rabat, elle est contrainte de rentrer en France où elle s’éteint le 25 mai 1916 au domaine familial de Langlade.

De retour de Perse en 1886, Jane Dieulafoy développe une intense activité intellectuelle en qualité d’écrivaine, de conférencière et de journaliste.

En 1890, elle publie chez Lemerre son premier roman : « Parysatis », couronné du prix Jules-Favre par l’Académie française en 1891. Camille Saint-Saëns compose un opéra sur le livret qu’elle tire du roman, et qui sera créé au Théâtre des Arènes de Béziers, le 2 août 1902. Elle publie également plusieurs romans et nouvelles. Après l’échec de son dernier, Déchéance (1897), elle décidera de revenir exclusivement à la littérature de voyage et aux études historiques.

Elle contribue aussi à la création du prix de la revue « La Vie heureuse » en 1904, dont elle est la première présidente à deux reprises en 1905 et 1911. Ce prix est créé en réponse au refus du jury du prix Goncourt, composé d’hommes, d’honorer l’écrivaine Myriam Harry ; elle fait partie, en 1904, du jury de la première édition de ce prix littéraire.

Elle mène une vie mondaine à Paris, où elle a demandé et obtenu une permission de travestissement pour pouvoir s'habiller en homme.

Cette habitude lui permettra de suivre son mari pendant la guerre franco-prussienne de 1870 où Marcel Dieulafoy est mobilisé comme capitaine du génie dans l’armée de la Loire. Habillée en franc-tireur, elle participe à toutes les opérations.

Cheveux courts et habits d’homme lui permettront également de se déplacer aisément en pays musulman sans risquer sa vie en tant que femme européenne a fortiori dévoilée. Parmi les différentes anecdotes et railleries sur cette habitude, elle rapporte elle-même qu'un riche marchand du bazar d'Ispahan félicite Marcel Dieulafoy sur la ressemblance de « son fils » avec lui (en fait il s'agit de Jane).

Jane Dieulafoy fréquente le salon de la comtesse Diane de Beausacq et tient elle-même, dans la résidence du couple à Passy, 12 rue Chardin (Paris), un salon renommé. La complicité intellectuelle avec son mari renvoie à celle du couple d'archéologues Ena et Alfred Foucher.
 

Publié dans Personnages

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